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Les collections de Mr Coyote version 2.0
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4 novembre 2009

Moulinsart a tué Garcia

Depuis près de vingt ans, Moulinsart SA, dirigé par M. Nick Rodwell, l’époux de la seconde femme de Georges Remi alias Hergé. essuie une véritable guérilla. A dire vrai, elle avait été entamée du vivant même du maître de Bruxelles lorsque, en 1975, les Situationnistes avaient détourné l’œuvre d’Hergé pour en faire des happenings. Entre les éditions pirates de Tintin au Pays des Soviets tentant de faire rendre gorge à l’anticommunisme de son auteur, les parodies sexuelles, notamment celles de Jan Bucquoy, les éditions non-autorisées et les broncas médiatiques des opposants de Moulinsart, la tintinologie se nourrissait pour ainsi dire de cette « révolte » contre des ayants droit « abusifs ». Comme toute geste héroïque, ce combat avait, bien entendu, ses martyrs.

Bob Garcia est désormais l’un d’eux. Il était l’auteur de plusieurs ouvrages sur Hergé et son analyse, parfois inspirée, apparaissait le plus souvent superficielle pour les commentateurs. Problème : jamais Moulinsart ne lui avait accordé le droit d’utiliser la marque ou les vignettes de Tintin. Il se les était arrogés, par « esprit de résistance » ou par défi. Il avait des tas de choses à raconter à propos d’Hergé, de ses sources et de ses influences. Il a publié depuis fin 2005 un certain nombre d’ouvrages sur son idole : Jules Verne et Hergé : d’un mythe à l’autre, Tintin au pays du polar, Tintin à Baker Street, Hergé, la bibliothèque imaginaire et Hergé et le 7ème Art, tous parus aux éditions McGuffin. Ces études reproduisaient des vignettes de l’œuvre d’Hergé à l’appui de ses thèses et des démarques, sinon des parodies, de couvertures et de dessins. Sans l’accord des détenteurs des droits.

La société Moulinsart et l’ayant-droit d’Hergé, Fanny Rodwell attaquèrent dès lors l’auteur et sa société d’édition en avril 2006, de même que… la FNAC, libraire coupable d’avoir proposé ces ouvrages à la vente sur son site Internet. La FNAC retira un moment ces livres de la vente, avant de les y remettre et d’aller jusqu’au bout de la procédure. Il était notamment reproché à Bob Garcia et à son éditeur :

- d’atteintes aux intérêts de Moulinsart en exploitant des droits de Tintin qui lui appartenaient ;

- d’avoir contrefait les albums de Tintin en copiant leur dénomination et leur présentation, adaptations non autorisées de l’œuvre d’Hergé, créant ainsi la possibilité d’une confusion avec les autres volumes de l’œuvre, comme par exemple avec « Tintin au pays du polar », actions susceptibles de constituer une « concurrence déloyale » et un « parasitisme » ;

- d’avoir porté atteinte au droit moral de l’auteur en reproduisant ces adaptations contrefaisantes. Les plaignants signalaient au passage la mauvaise qualité de reproduction des vignettes.

Les défendeurs mettaient en avant la nécessité d’utiliser les images d’Hergé pour étayer les différentes thèses avancées (il s’agit de comparer deux œuvres) excipant du droit de la citation pour ce faire. Problème : pour critiquer l’œuvre d’Hergé, il fallait jusqu’ici demander l’autorisation préalable des droits de reproduction à Moulinsart qui examine alors minutieusement si l’utilisation qui en est faite ne lui fait pas ombrage. Bob Garcia avait, semble-t-il, décidé de s’en passer. « Les portes du château ne se sont probablement pas ouvertes, écrivions-nous en 2005 à propos de ces droits de reproduction, puisque les illustrations de Tintin figurant dans [Jules verne et Hergé, d’un mythe à l’autre] sont signées... Golo et Frank, extraites d’une parodie publiée par Casterman dans un fascicule en hommage à Hergé. Nous verrons si la Fondation [Hergé] se laissera abuser par la manœuvre... » Cela n’a apparemment pas été le cas puisque l’ouvrage se trouve aujourd’hui devant le tribunal.

Le jugement du Tribunal de Nanterre tombe à une date fatidique : le 22 mai, jour de la naissance d’Hergé (les initiales de Robert Garcia sont RG aussi …). Les attendus constatent une contrefaçon, une reproduction non autorisée de l’oeuvre d’Hergé et une atteinte aux droits patrimoniaux de Moulinsart. Le tribunal condamne Bob Garcia et son éditeur pour ces raisons, la FNAC étant relaxée.

La « justice de Moulinsart »

Mais en revanche, à la lecture de l’arrêt, il apparaît que ce jugement ouvre une brèche importante en ce qui concerne le droit à la citation graphique. Elle fait une nouvelle lecture de l’article L122-5 3° du Code de la propriété intellectuelle après l’entrée en vigueur de la Loi du 1er août 2006 qui en modifie la portée. Constatant que les ouvrages de M. Garcia « constituent des études et des analyses de l’œuvre d’Hergé », le jugement avance qu’ « une vignette qui constitue un extrait d’un ensemble, réalise une courte citation d’un album qui ne peut être résumé à un assemblage d’œuvres distinctes » tant qu’elle ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. Il conclut donc : « Il y a lieu donc de considérer que Robert Garcia et [son éditeur] sont bien fondés à se prévaloir de l’exception de courte citation pour les vignettes extraites des albums des Aventures de Tintin. »

« Nous ne ferons pas appel, nous dit Bob Garcia, puisqu’en l’état, malgré la condamnation sur les couvertures et les titres […], le jugement nous est quand même très favorable ». Cela dit, financièrement, la déconvenue est sévère puisque Bob Garcia et son éditeur sont contraints à payer   ad solidum 10.000 euros de dommages et intérêts à Moulinsart et à Fanny Rodwell et à 8.000 euros de dépens, en application de l’article 700 sur les frais de procédure. « C’était plus une question de passion que de se faire de l’argent, se justifie l’auteur. L’éditeur et moi étions des passionnés de Tintin. Je ne vis pas de cela, je gagne ma vie avec mes romans publiés aux éditions du Rocher ». Tout ce combat, il le mène pour la liberté d’expression : « C’est notre droit de dire ce que l’on a envie de dire sur cette œuvre à partir du moment où l’on n’est pas irrévérencieux, et ce n’est pas le cas ici. […] On veut entendre de la part des juges quelque chose de clair sur nos droits, ce à quoi on a droit et ce à quoi on n’a pas droit. On se conformera à la justice. Pas à la justice de Moulinsart, mais à celle des juges ! »

Une « remise en cause de toute l’économie des droits de reproduction de la bande dessinée »

« Le jugement m’apparaît contradictoire, nous dit de son côté l’avocat de Moulinsart Me Florence Watrin, pas prête à lâcher le morceau. Il reconnaît d’abord qu’une vignette de bande dessinée est une œuvre à part entière. Or, une œuvre à part entière ne peut pas être citée puisque lorsqu’on cite une œuvre, on en cite nécessairement une partie qui, en outre, doit être courte. […] Hergé est connu pour avoir fait vivre ses personnages en dehors de ses livres. Il y a d’abord eu les publications dans les journaux avant les albums, et puis les publicités, les affiches qui utilisaient les illustrations d’Hergé. C’est donc quelqu’un qui a démontré par son travail que ses dessins, quels qu’ils soient, sont des œuvres à part entière. Je trouve cette décision extrêmement critiquable sur ce point et c’est d’ailleurs la principale raison pour laquelle la société Moulinsart et Mme Rodwell font appel de cette décision. »

Quant à l’ouverture faite à un droit de citation graphique, Me Florence Watrin est formelle : « C’est très grave parce que c’est la remise en cause de toute l’économie des droits de reproduction de la bande dessinée. Que ce soit pour les auteurs ou les éditeurs, ce jugement a des conséquences inouïes ! […] Le droit d’auteur est un ordre public de protection. Toutes les exceptions comme le droit de citation, la reproduction destinée à un usage privé ou la parodie doivent être entendues strictement. »

Toute la problématique est la notion de « courte citation » d’une œuvre graphique, une notion apparemment très floue. « La citation, telle qu’elle a été entendue au départ par le législateur a été pensée manifestement pour une citation littéraire, nous dit Me Watrin. « Le problème va bien au-delà de la bande dessinée. La photographie, par exemple, dispose d’une jurisprudence éprouvée puisque les photographes ont à affronter les mêmes arguments quand on « cite » leur œuvre. […] Le droit de citation n’est peut-être pas adapté pour les œuvres graphiques parce que les conditions prévues par la loi ne sont pas remplies. Il y a une pratique qui semble fonctionner pour la reproduction des œuvres picturales, mais dans la bande dessinée, si l’on reproduit des éléments de détail qui sont eux-mêmes constitutifs d’une œuvre, cela pose un problème. C’est pourquoi je pense que le droit de citation n’est pas possible pour une œuvre graphique. Dans la loi de 1957, le législateur n’envisageait ni la photographie, ni la bande dessinée, ni le cinéma…, seulement la citation littéraire. »

La Cour d’appel de Versailles aura fort à faire pour établir les règles qui permettront à la loi de distinguer les Dupond et Dupont de la citation graphique.

Premier coup de semonce : le 9 juillet 2009, dans un autre procès, l’éditeur d’une parodie, Le Léopard masqué se faisait lourdement condamner par le Tribunal de Grande Instance d’Evry pour « parasitisme » après avoir publié une parodie intitulée « Saint-Tin et son ami Lou ». La parodie ne justifie en aucun cas un usage extensif des signes distinctifs issus de l’œuvre d’Hergé conclut le tribunal.

C’est la Cour d’Appel de Versailles qui, dans un arrêt du 17 septembre 2009 donne le coup de grâce : renversant la décision du Tribunal de Première Instance, elle considére que : « …la citation s’entend par nature d’un extrait, d’un passage, d’une œuvre constituant un tout, et qui a pour finalité d’illustrer la pensée de son auteur ; que dans le cas accompagnés de textes, il s’agit essentiellement d’une œuvre graphique dont seule une reproduction, totale ou partielle, peut traduire les formes et l’esthétique ; […] Que ces vignettes, individualisées, sont des œuvres graphiques à part entière, protégeables en elles-mêmes, indépendamment de l’ensemble et de l’enchaînement narratif dans lequel l’auteur les a intégrées ; que ces vignettes constituent des reproductions intégrales de l’œuvre d’HERGE ; Considérant que cette reproduction intégrale ne peut pas relever de l’exercice du droit de courte citation prévu par l’article L 122-5-3° du code de la propriété intellectuelle. »

En clair, dans ce cas précis, la citation graphique n’existe pas et l’usage d’une vignette de Tintin sans l’autorisation des ayants droit est illicite.

Par conséquent, le tribunal condamna Bob Garcia et son éditeur à payer des dommages et intérêts à Moulinsart (30.000 euros) et à Fanny Rodwell, la légataire universelle d’Hergé (10.000 euros) en plus des frais judiciaires (environ 8000 euros). Par ailleurs, le site Internet FNAC Direct qui avait distribué ces ouvrages a également été condamné pour avoir diffusé l’œuvre litigieuse.

De lourdes conséquences

La suite est douloureuse pour l’écrivain, le 21 octobre 2009 : « Au terme de quatre ans de procès assidu, écrivait-il la semaine dernière à quelques journalistes,  les sympathiques et dynamiques ayant-droit de l’œuvre de Hergé sont parvenus à me faire condamner à payer 48.610,19 euros pour contrefaçon. Il est vrai que j’ai publié 5 ouvrages au tirage de 500 ex par titre, dont certains contiennent quelques images de Tintin... Du coup, histoire de marquer le coup, les ayant-droit m’ont envoyé les huissiers pour "saisie-vente" de ma maison. Je ne critique pas le côté farce, mais côté fair-play, il y aurait à redire, surtout que j’avais demandé un délai par voie d’avocat trois jours plus tôt en expliquant que j’étais sans le sous... Quoi qu’il en soit, je reste confiant car j’ai déjà réuni la somme significative de 10,19 euros. Il ne me reste donc plus que 48.600 euros à trouver en deux jours. » Selon son président, Laurent Debarre s’exprimant dans notre forum, l’association Promocom est acculée au dépôt de bilan

Sur son blog, le biographe d’Hergé Pierre Assouline relaie le témoignage de la « victime ». Il est vrai que cette affaire ouvre la possibilité aux ayants droit, quels qu’ils soient –auteurs ou héritiers « abusifs »- d’interdire l’usage d’une image à tout commentateur de l’œuvre qui ne recevrait pas leur imprimatur.

Ce qui ressemble bien à une censure préalable ne peut mener qu’à une « berlusconisation » de l’information. La seule alternative est que le législateur corrige cette anomalie de la loi qui entrave de façon manifeste la liberté d’expression.

Texte : Didier Pasamonik, Actua BD

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