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Les collections de Mr Coyote version 2.0
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14 novembre 2009

Vincent Engel de retour au musée Hergé

27 mai 2009. La presse a parfois des attitudes surprenantes… Elle s’était rendue en masse à l’inauguration du musée Hergé à Louvain-la-Neuve et fut outrée d’apprendre qu’aucune image ne pourrait être prise à l’intérieur du musée. Cela n’a pas empêché journaux et journalistes d’en parler dans leurs éditions du lendemain. Pour dénoncer ce scandale, certes, mais du coup parler néanmoins du musée et de son inauguration.

Devant une telle attitude, la meilleure réponse n’aurait-elle pas été le silence ? Pas d’image, pas d’information. Les hériters d’Hergé, qui négocient au prix fort l’utilisation de tous les produits dérivés (s’ils pouvaient faire payer pour l’utilisation des lettres qui composent le nom de leur manne céleste, ils le feraient certainement), ne pourraient qu’être sensibles à ce noble marchandage, lequel ferait hurler le capitaine Haddock. Eux qui seraient prêts à poursuivre en justice les gamins africains qui fabriquent avec des matériaux de fortune (pas la même fortune…) des figurines de Tintin, se seraient ainsi vu rappeler qu’à radin, radin et demi.

On aurait pu aussi profiter de l’occasion pour rappeler certaines vérités et poser certaines questions : y aura-t-il, dans ce musée, une salle sur Hergé antisémite, une autre sur Hergé collaborateur, une autre sur Hergé raciste et colonialiste ? Y exposera-t-on les planches scandaleuses de “L’étoile mystérieuse”, album au titre ignoble quand on sait qu’il paraît en 1942 au moment où les Allemands déportent vers la mort tous ceux qui portent une autre étoile jugée par eux aussi dangereuse pour le monde que l’étoile inventée par Hergé ?

Sans cela, je ne vois vraiment pas l’intérêt d’un musée Hergé. Tintin, c’est peut-être rigolo (mais c’est discutable…), mais ça n’a rien à voir avec Magritte, par exemple (et encore, je ne suis pas fou de Magritte). À part pour faire frémir de joie Stéphane Steeman et quelques idolâtres fétichistes, que peut-on y exposer qui mérite un musée à lui tout seul ?

Cela dit, “l’événement” de la présentation à la presse aveugle et malgré tout obéissante aura servi à quelque chose : me décider à boycotter définitivement ce lieu supposément culturel, qui n’est qu’une antichambre à la boutique du musée et une publicité énorme pour permettre à ceux qui gèrent le nom Hergé de gagner encore plus d’argent sur notre dos, en nous prenant pour des crétintins…

9 juin 2009. Réponse d'Alain De Kuyssche.

Je ne fais pas partie des amis de Vincent Engel (l’amitié, cela se construit lentement, non ?) et je travaille pour Moulinsart. Deux tares qui me pousseraient à me taire, mais ce texte, « Gogos en Stock », c’est vraiment n’importe quoi.

« Poursuivre les gamins africains… » : ce n’est pas drôle, c’est déplacé, c’est diffamatoire, ce n’est pas digne d’un Vincent Engel.

Radins, les Rodwell ? Ce n’est pas comme cela que je vis mon boulot chez Moulinsart. L’argent récolté par Moulinsart sert, entre autres, à faire vivre plus d’une centaine de personnes, créatives, talentueuses (allez, je m’inclus dans le lot…), ce qui n’est pas mal par les temps qui courent.Radine, Fanny Rodwell, qui consacre 20 millions d’euros à faire sortir de terre un musée ? Avant de rentabiliser cet investissement, il faudra beaucoup de temps, même si le musée attire des foules. Avec ce musée, Moulinsart ne gagne pas « encore plus d’argent sur notre dos », loin de là, et n’a puisé dans aucune caisse de subvention publique pour arriver à voir naître une oeuvre architecturale – ce qui est assez rare en Belgique depuis l’Atomium.


Pour gagner beaucoup d’argent et très vite, il existait un moyen infaillible : publier un nouvel album Tintin. C’aurait été scandaleux, déplacé, indigne etc, au regard des dernières volontés d’Hergé. D’autres héritiers n’ont pas eu ces scrupules : cela n’empêche pas les journalistes de se pâmer à la sortie d’une nouveauté, bien pensée, savamment marketée et très vite oubliée – en tout cas jusqu’à l’opus suivant, encore un peu plus décevant.

Hergé collaborateur ? Il ne s’agit à aucun moment d’excuser ou d’atténuer les erreurs, fautes et maladresses d’Hergé pendant l’occupation. Encore faut-il s’entendre sur le terme « collaborateur ». Si la collaboration consistait à coopérer activement avec les nazis, Hergé n’est pas tombé dans ce travers. Si collaborer signifiait l’adhésion à un parti ouvertement pro-nazi, comme Rex, et l’accompagner sur le Front de l’Est, Hergé ne l’a pas fait. Si collaborer, c’était dénoncer un résistant ou un voisin, Hergé ne s’est pas adonné à ce sport pratiqué abondamment dans notre pays, entre 1940 et 1944. Si la collaboration transparaissait dans des écrits non équivoques contre la résistance ou dans une prose idolâtre des hauts faits de l’armée allemande, rien de cela ne peut être reproché à Hergé.

Concernant l’antisémitisme, là aussi, il convient de garder la tête froide – et celui qui le dit, c’est quelqu’un dont 80 % de la famille maternelle a disparu dans la nuit et les brouillards d’Auschwitz et de Mauthausen.Je crois qu’Hergé était aussi antisémite que la plupart des « bons Belges » de l’entre-deux-guerres. Il est plus commode de tomber à bras raccourcis sur un homme plutôt que d’analyser le comportement d’une société donnée. Notamment dans un pays qui, plus de 60 ans après la chute d’Hitler, a encore du mal à restituer leurs biens (ou les compenser) à des familles juives, spoliées par l’occupant, les véritables collaborateurs et certains représentants de l’ordre, que n’étouffait pas l’indignation devant le sort réservé à des hommes, femmes et enfants jetés dans des wagons à bestiaux. C’est à ce point vrai qu’au moment où la justice dut statuer sur le cas d’Hergé, peu après la Libération, pas un de ses dessins antisémites (dans « L’Etoile mystérieuse ») ne lui fut reproché. Comme si c’était normal de moquer les Juifs, partout, à tout moment, en n’importe quelle circonstance.

Cela dit, le lien entre « L’Etoile mystérieuse » et l’étoile jaune (dont je conserve une exemplaire ayant appartenu à un grand père que je n’ai jamais connu) a quelque chose de grotesque. Ou alors, il faudra soupçonner des pires dérives le vinaigre L’Etoile et autres enseignes étoilées, visibles dans nos villes, même sous l’occupation.

Quant au colonialisme d’Hergé, oui, il est colonialiste, comme la majorité des Belges et des Européens, persuadés, en cet avant-guerre, de la nécessiter d’imposer la civilisation occidentale aux africains (on oublie souvent les asiatiques et les polynésiens), considérés comme de grands enfants. En tout cas, il n’a pas sombré dans les délires racistes d’un Edmond Picard.

Toutes ces questions, le Musée Hergé ne les élude pas, et je vous invite (mais oui, gratuitement !) à venir le constater sur place.

Un dernier mot sur les réactions de la presse. Dès les premiers contacts, les journalistes ont été prévenus de l’interdiction de prendre des images dans les salles d’exposition permanente. Les agences de presse n’ont pas apprécié que Moulinsart distribue 53 photos libres de droits (autant pour la radinerie…), dont une dizaine comportant des pièces exposées dans les salles.

Donc, nous vous attendons au Musée Hergé à votre meilleure convenance. Peut-être l’amorce d’une amitié ?

9 juin 2009. Réponse de Vincent Engel.

Merci pour votre commentaire.

Je n’y souscris pas vraiment, et d’une certaine manière, votre position est délicate, puisque vous travaillez pour la fondation. Les comportements de la fondation que je dénonce m’ont été si souvent attestés, par des personnes différentes et dignes de foi, que j’ai du mal à trouver votre défense convaincante. Quant à la question de l’antisémitisme de Hergé et l’analyse de L’étoile mystérieuse, je ne suis pas seul à être de cet avis. Un excellent essai avait été consacré au sujet il y a quelques années. La marque « L’étoile » n’est pas apparue sur le marché en 1942; l’album de Hergé bien, au moment précis où la solution finale se mettait en œuvre. Et tous les pays représentés dans l’équipage de Tintin sont des pays sous la coupe nazie, qui plus est le plus souvent collaborateurs, tandis que l’ennemi à battre de vitesse est de manière évidente l’Amérique…

Vous finiriez par nous faire croire que les héritiers de Hergé sont pauvres et malheureux… Il n’y a pas que la sortie d’un album pour faire de l’argent. Le merchandising de Tintin est extrêmement efficace, et l’on connaît le zèle mis à poursuivre tous ceux qui tenteraient de faire des copies. L’extrapolation que je fais aux gamins africains relève certes de la caricature, mais Hergé en a fait d’autres, bien pires.

Mais c’est un débat sans fin… Allez, j’accepte volontiers votre invitation, car vous me semblez quelqu’un d’aussi sympathique que certains personnages de Tintin (j’en aime quelques-uns). Et le dialogue est toujours plus intéressant que la polémique !

Et je ne voudrais pas que ce blog devienne, comme d’autres, un lieu d’échange de noms d’oiseaux et d’arguments de café du commerce…

10 novembre. Après la visite ...

Alain De Kuyssche, qui travaille au Musée Hergé à Louvain-la-Neuve, avait vivement réagi à mon article (voir haut de la page) à l’occasion de la présentation à la presse du musée – lors de laquelle, pour rappel, il avait été interdit aux journalistes de prendre des photos, celles-ci étant par ailleurs distribuées ensuite par les bons soins des responsables de l’institution.

Gentiment, M. De Kuyssche m’a invité à visiter les lieux, avec mon fils, ce que nous fîmes à l’occasion du congé de Toussaint – non que j’étais prêt à donner à Hergé le bon Dieu sans confession ou à la prendre pour un saint !

Pour être franc, la scénographie et l’architecture du musée sont réussies – certains diront que c’est une tendance forte de ces dernières années, qui consistent à rendre les musées davantage intéressants par leur architecture que par leur contenu. On parcourt la vie d’Hergé et ses créations grâce à des originaux auxquels s’ajoutent quelques pièces ou artefacts, sans qu’il soit toujours facile de distinguer les originaux des (re)créations réalisées à l’instigation d’Hergé – pour son travail – ou de ses héritiers – pour le musée. Pour les amateurs et les amoureux de Hergé, de Tintin et des autres, une découverte intéressante, amusante et très bien orchestrée.

Ce qui m’intéressait avant tout, c’était le parcours politique de Hergé. Ses années d’avant-guerre durant lesquelles, pétri d’éducation catholique, idéologiquement à droite, perpétuant, consciemment ou non, les préjugés racistes et antisémites de sa classe, il dépeignait un Congo, une Amérique, une Russie caricaturaux et ridicules ; sa collaboration au Soir volé dans lequel il publiait L’étoile mystérieuse, dont certains ont subtilement relevé ce qui relève pour le moins d’un lapsus historiquement malheureux – il y a en effet quelque chose de terrible à décrire la menace que fait peser une «étoile mystérieuse» sur la terre au moment où les Nazis mettent en place les lois antijuives, l’étoile jaune et l’extermination.

On ne peut pas dire que cette question soit franchement abordée par le musée. A contrario, on trouve une intéressante page signée Hergé, de manière visible, dans laquelle le professeur Bellum – nom évocateur ! –, après avoir entendu l’annonce faite sur la radio belge, en 1939, appelant à la neutralité de chacun face aux belligérants français et allemands, vient apposer sur un mur le graffiti suivant : «Hitler est fou». Publié dans la presse, ceci lui vaudra quelques inimitiés sérieuses, semble-t-il ; mais pas de réelles représailles.

Isolée, cette pièce à décharge fait sans doute oublier aux visiteurs peu concernés par ces questions l’absence du reste : les vignettes litigieuses et antisémites de L’étoile mystérieuse – que Hergé aurait supprimées avant même la publication dans Le Soir –, les couvertures de livres réalisées pour la collection Rex… On insiste par contre beaucoup sur l’influence positive exercée sur Hergé par Tchang, dont on expose d’ailleurs, dans la partie temporaire du musée, des œuvres intéressantes, sculptures et peintures.

À en croire Alain De Kuyssche, le débat est ouvert. Il n’y a plus de tabou sur le passé de Hergé, et il est d’ailleurs juste de faire remarquer qu’il ne faut pas en faire le bouc émissaire d’une classe entière. Le débat concerne également des écrivains comme Simenon, Bauchau, Poulet et tant d’autres.

En quittant les lieux, rendez-vous fut pris pour un colloque – ou une rencontre scientifique – où ces questions seraient abordées en profondeur ; l’occasion est trop belle de profiter de l’installation du musée dans une ville universitaire. N’y a-t-il pas un beau défi à vouloir éclairer les zones d’ombres du père de la ligne claire ?

Source : Blog à part

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