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29 novembre 2009

Les 70 ans de Spirou

Spirou tient tête à la concurrence et aux modes depuis 70 ans. Seule la Propaganda-Abteilung a réussi à empêcher le groom de sortir de Marcinelle, au plus fort de l'Occupation nazie, entre 1943 et 1945. Depuis, le journal n'a cessé de découvrir de nouveaux talents.

De 1938 à nos jours, il a vu défiler une galerie d'auteurs et de personnages qui ont fait l'histoire de la bédé franco-belge. Les années passent, l'esprit "Spirou" reste. Il se trouvera toujours des gens pour dire que "Spirou", ce n'est plus comme avant. Fatalement, le journal n'a que peu de choses à voir avec celui de 1938, celui de 68 ou même celui d'il y a dix ans. Les auteurs passent, mais le fameux "esprit Spirou" demeure, s'adaptant à l'air du temps.

Lorsqu'en 1937, Jean Dupuis, propriétaire des respectables éditions du même nom - sises dans la banlieue de Charleroi - décide de lancer un illustré pour la jeunesse, il souhaite que le personnage emblématique soit un garçon au bon coeur, "champion de la bonne humeur". Un Spirou, quoi, comme on dit en wallon pour désigner tant un écureuil qu'un gamin vif et facétieux. Jean Dupuis confie le journal à ses fils Paul et Charles, lesquels mettent le grappin sur un dessinateur français, Robert Velter, alias Rob-Vel.

Pour la couverture du n°1, Rob-Vel croque un rouquin en tenue de groom. "Spirou" est né.

Le flair de Charles Dupuis l'amène à engager, en 39, un génial touche-à-tout : Jijé. Joseph Gillain remplit rapidement la moitié du journal : il reprend "Spirou" à Rob-Vel, mobilisé, en 40 ; il conte la vie de Don Bosco ; imagine le détective "Valhardi" et le duo "Blondin et Cirage".

Jijé prend aussi sous son aile une génération dorée : Franquin, Morris et Will. Ils vont s'ébattre dans "l'école de Marcinelle" et publier, dans "Spirou", des séries mythiques. Morris dégaine son "Lucky Luke", Franquin développe "Spirou et Fantasio", Will reprend "Tif et Tondu" ; Peyo lance Johan et Pirlouit puis place les Schtroumpfs sur leur chemin ; Tilleux livre une savoureuse parodie de polar : "Gil Jourdan"...

En 1955, Yvan Delporte est propulsé rédacteur en chef. Le journal aborde la période la plus faste de son histoire. Delporte n'a de cesse de surprendre les ADS (Amis de Spirou). Il suggère à Franquin de créer un héros sans-emploi, qui répond (pas toujours) au nom de "Gaston Lagaffe". Il invente les mini-récits, où se testent des talents en herbe. C'est le super-banco. En 1960, "Spirou" se vend à 200000 exemplaires. La rivalité avec le concurrent "Tintin" donne lieu à une formidable émulation.

La fin des sixties est marquée par le départ de Delporte et l'arrivée d'un nouveau concurrent plus déluré, "Pilote". Alors que "Spirou" donne des signes d'essoufflement, se profile une nouvelle génération - Walthery ("Natacha"), Gos ("le Scrameustache"), Piroton ("Jess Long"), Leloup ("Yoko Tsuno") ou Cauvin ("Les Tuniques bleues").

En 1977, Delporte revient par la fenêtre de la cave en mettant sur pied avec Franquin "Le Trombone illustré", supplément "clandestin", au contenu plus mordant que celui du journal. "Le Trombone" tiendra sept mois, suffisamment pour marquer les mémoires. Comme le feront les éphémères et corrosifs hauts de pages animés par Yann et Conrad, au début des années 80. Décennie au cours de laquelle Hislaire, Berthet, Frank, Warnant et Bercovici s'installent.

Thierry Tinlot, qui prend la direction du journal en 93, le prépare au siècle à venir. Des blockbusters comme "Le petit Spirou" ou "Kid Paddle" prennent leur envol, tandis que Larcenet, ou Trondheim secouent le cocotier de la sage maison "Dupuis".Le magazine fondé par Jean Dupuis en avril 1938 fera naître Valhardi, Lucky Luke, Buck Danny, Johan et Pirlouit, les Schtroumpfs, Jerry Spring, Gil Jourdan, Gaston Lagaffe, Boule et Bill, Natacha, Yoko Tsuno, les Tuniques bleues, Sammy, Cédric, les Innommables, Germain et nous, Jérôme K Jérôme Bloche, Théodore Poussin, Soda, le Petit Spirou, Largo Winch, Mélusine, Kid Paddle, Parker et Badger les Nombrils ou Nelson… Zut ! dirait M. le Comte de Champignac : impensable de les citer tous tant l'Ecole belge de Spirou a marqué l'histoire de la BD.

Avec son large lectorat, "Spirou" garde un intérêt indéniable pour Dupuis. Pourtant, la rentabilité n'est pas au rendez-vous. Mais le magazine a d'autres atouts.
Le magazine "Spirou", c'est entre 300 000 et 325 000 lecteurs chaque semaine. La diffusion se répartit entre les abonnés (80 pc) et les ventes en librairie (20 pc) dont la moitié a lieu en Belgique. L'hebdomadaire atteint un tirage de 90000 exemplaires, dont 15000 sont destinés aux reliures. Les invendus ? Environ 50 pc, la moyenne dans la presse.

Pourtant, ces six dernières années, Spirou a vu la moyenne de sa diffusion payante chuter brutalement de 28.000 à 19.000 exemplaires en Belgique. Avec de tels chiffres, le dernier magazine de bande dessinée "tout public" est-il rentable ? "Il ne rapporte pas d'argent mais il est à flot, répond Frédéric Niffle, le nouveau rédacteur en chef de "Spirou". C'est vrai, il y a une époque où il était bénéficiaire mais les temps ont changé. Aujourd'hui, "Spirou" reste la tête de pont de l'éditeur. Il n'est pas là pour faire du profit. C'est peut-être le seul cas où il y a un lien d'identification aussi fort entre l'éditeur et le magazine."

Frédéric Niffle, tente de remettre de la stabilité dans les chiffres de vente. L'espiègle frais émoulu rédacteur en chef de Spirou ne renie pas les 70 ans de l'héritage laissé par ses prédécesseurs. Il n'a pas l'ambition impossible de remonter le journal aux tirages de l'âge d'or : 150.000 exemplaires par semaine en France et 85.000 en Belgique dans les années 1960. Mais avec un coup de pouce de jeunes auteurs et de héros d'aujourd'hui, il veut s'attacher à reconquérir l'image « tous publics » qui a fait la popularité du journal.

Viser le « tous publics » a-t-il encore un sens à une époque où la BD s'est spécialisée dans le roman graphique, l'autobiographie, l'héroïc-fantasy, l'historique, le manga… ?

Frédéric Niffle : "Au départ, le « tous publics » était un genre en soi. On parlait de la bande dessinée sans distinguer les genres, les cibles, les tranches d'âge. Les temps ont changé, d'accord. Mais il existe encore des films et des romans « tous publics ». Alors pourquoi pas des BD ? C'est justement en choisissant ce credo que Spirou peut retrouver une vraie spécificité. Et je crois qu'il est plus facile de toucher tous les publics à travers un journal qu'à travers un album. Spirou est le dernier hebdomadaire de bande dessinée pour les 7 à 77 ans. Ses concurrents, Tchô !, Kid Paddle, Mickey, Lanfeust… sont plus ciblés sur les enfants ou les ados et ne paraissent pas toutes les semaines".

En 2005, Dupuis avait boosté le journal à 68 pages et visait les 200.000 exemplaires. Vous avez des objectifs précis ?

"Il est devenu impossible de produire un magazine de bande dessinée de 68 pages de qualité chaque semaine. Mickey propose à peine 30 pages de BD et achète souvent les meilleures séries de la concurrence pour y arriver ! C'est pourquoi nous sommes modestement redescendus à 52 pages, ce qui nous permet d'investir dans des suppléments comme le « paper toy » de cette semaine : un buis de la série Seuls à monter soi-même. Pour le reste, le journal n'a pas pour mission de dégager du profit mais de redevenir le porte-drapeau créatif des éditions Dupuis. Le journal, c'est la véritable identité de la boîte mais il faut stabiliser les ventes sinon il finira par disparaître. Il ne s'agit pas de faire plaisir aux patrons mais de plaire aux lecteurs".

Le nouveau « Spirou » a maigri et retrouve une ligne d'apparence plus classique. Où sont les vrais plus pour le lecteur ?

"Le fil rouge de la nouvelle maquette, c'est de prendre ce qu'il y a eu de meilleur dans les 70 ans de la vie de Spirou et s'en inspirer pour faire quelque chose de contemporain. On va, par exemple reprendre l'idée des mini-récits à fabriquer soi-même. Lewis Trondheim, Grand Prix du Festival d'Angoulême, signera le premier. On renoue avec le principe d'une couverture originale spécialement dessinée pour le journal : chaque numéro doit être un trésor à conserver précieusement, comme à l'âge d'or de Franquin. On s'inspire de la rubrique légendaire du Fureteur dans la Gazette, des textes mordants en direct de la rédaction. Nous avons notre Galerie des illustres, où de grands noms de la BD dessinent leur premier souvenir de Spirou. Il y a les Aventures d'un journal, une rubrique qui fait revivre les héros mythiques de Spirou sans republier platement les albums. L'époque des histoires à suivre est passée. Au final, c'est vrai qu'il y a seize pages de moins mais le journal est imprimé sur un plus beau papier et il offrira un supplément chaque semaine dont la fabrication coûte plus cher que les pages supprimées".

On ne lira plus que des récits complets dans « Spirou » ?

"Nous publierons encore une ou deux aventures à suivre mais découpées en trois ou quatre épisodes maximum. Les séries télé et l'internet ont changé la perception des rythmes de lecture".

Vous avez déjà recruté de nouveaux auteurs ?

"Spirou" continue à faire office de porte d'entrée pour les nouvelles séries. A cet égard, son important lectorat est un atout. "Parmi les nouveautés, beaucoup se perdent lors de leur sortie en librairie. Tandis qu'en prépublication dans "Spirou", on a l'occasion de sonder plus de 300 000 lecteurs. On va voir Benoît Feroumont, auteur du dessin animé wallon Dji vou veu volti, créer un Astérix du Moyen Age avec des personnages d'oiseaux cafeteurs à mourir de rire. Hugo Piette signera Cravate, une bande de Pieds-Nickelés cruels qui sévissent à bord d'un bateau. Baru, auteur des Années Spoutnik, lancera sa nouvelle série dans le journal. Lewis Trondheim prépare un mini-récit de 30 pages… Mais je ne vais pas jouer les Anciens contre les Modernes. Les Cauvin, Tome ou Midam resteront bien sûr les stars du journal".

Les 70 ans de l'hebdomadaire correspondent à peu près à l'arrivée d'une nouvelle équipe, de la rédaction en chef à la direction générale en passant par la direction éditoriale. Outre Frédéric Niffle, devenu rédac'chef officiellement le 16 avril 2008, Sergio Honorez est directeur éditorial depuis mars 2007 et Olivier Perrard est directeur général depuis septembre 2007. "Il y a eu tellement de changements ces trois dernières années que l'on aspire à travailler dans la sérénité et sur la longueur, pour améliorer la qualité", indique Frédéric Niffle.

Le numéro spécial des 70 ans a d'ailleurs comme seule grande originalité qu'il sort sous quatre couvertures différentes. Un "coup" pour vendre davantage, vu le grand nombre de collectionneurs dans le milieu de la BD ?

"Non, parmi les lecteurs, le nombre de collectionneurs est anecdotique. L'objectif est de personnaliser le magazine. On voulait qu'un lecteur puisse dire à un autre : "Tu as vu la couverture du mien ? Et toi, laquelle as-tu ?" Le tirage n'a d'ailleurs pas été augmenté substantiellement pour l'occasion." Un accent placé davantage sur la qualité que sur la rentabilité : alors que ses rivaux historiques ont depuis longtemps rendu les armes, "Spirou", dernier mohican d'un secteur en crise, reste décidément une perle rare du monde de la presse..."

Le 22 avril 2008, Emile Bravo et Frédéric Niffle étaient les invités d'Eric Russon dans Culture Club sur La Première. Frédéric Niffle y a expliqué comment le Journal Spirou fêtait ses 70 ans. Quant à Emile Bravo, il venait de publier chez Dupuis «Journal d'un ingénu», une nouvelle aventure de Spirou et Fantasio.

Texte : Daniel Couvreur, Le Soir, 22 avril 2008 et Olivier le Bussy, La Dernière Heure, 21 avril 2008.

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