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Les collections de Mr Coyote version 2.0
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3 novembre 2007

Tintin au rayon "Adultes"

Hergé n'était pas un anti-colonialiste convaincu. Ca, on le savait déjà. Mais bon, ce qu'on ne savait pas, c'est que c'était un dessinateur de BD adultes. Le bien-pensé politiquement correct a une victoire de plus sur une cible de choix : "Tintin au Congo", réalisé en 1930.

Rétroacte : juillet 2007, Borders, un groupe américain qui possède de nombreuses librairies en Grande-Bretagne, vient de demander à ses responsables de déplacer Tintin au Congo du rayon BD “Jeunesse” au rayon BD “Adultes”. Quelle mouche les a donc piqués ? La CRE (“Commission for Racial Equality” - commission pour l’égalite raciale) a fait pression et exigé cette transhumance d’un rayon à l’autre, à défaut de son expulsion, en raison du caractère “raciste” de l’album d’Hergé après qu'un britannique blanc dont l'épouse est noire se soit plaint en ces mots : «J'ai été attéré de voir page après page les Noirs africains représentés comme des babouins et des singes, parlant comme des attardés et s'incliner devant un adolescent blanc (...) Le chien de Tintin, Milou, est couronné roi. Vous faites la promotion de l'idée raciste selon laquelle les Noirs sont prédisposés à la violence et doivent être menés, guidés et commandés par des Blancs, et même par des chiens». La porte-parole de la CRE ajoute : «Ce livre contient des images et des dialogues porteurs de préjugés racistes abominables, où les "indigènes sauvages" ressemblent à des singes et parlent comme des imbéciles. Le fait que l’ouvrage ait été écrit il y a longtemps ne les rend pas plus acceptables. » En vertu du principe de précaution, Borders s'est rapidement exécuté.

Le Congo était la deuxième aventure de Tintin reporter, après le séjour en bolchévie. Hergé, qui n’avait jamais quitté sa Belgique natale, avait puisé sa documentation au Musée colonial de Tervueren et dans Les silences du colonel Bramble, roman à succès d’André Maurois dans lequel il avait carrément transposé toute une scène de chasse. C’est à peu près tout même si plus tard, dans un essai remarqué, Roger Nimier établira un rapprochement avec Les vertes collines d’Afrique d’Hemingway. C’était en 1931, époque à laquelle la Belgique était coloniale avec bonne conscience. Il n’y eut aucune controverse. Ce n’était pas percu comme raciste mais comme paternaliste. Même si trois ans avant Gide avait publié son Voyage au Congo où perçait l’indignation contre les abus, et si un an avant, Albert Londres avait lancé une série d’articles dénonçant l’exploitation criminelle des Noirs dans la construction du chemin de fer Congo-Océan. Gide et Londres étaient français ? Soit mais Georges Simenon était bien belge et dès 1932, dans Voilà, il publiait un reportage accablant qui s’achevait par ces mots : «Oui, l’Afrique nous dit merde et c’est bien fait !» Hergé, qui évoluait dans un milieu très conservateur d’où jaillira l’extrême-droite rexiste, n’eut aucun cas de conscience. Il reflètait la Belgique et sa mission civilisatrice. Les enfants adoraient et l’album fut un succès.

Après la guerre, quand il entreprendra un travail de refonte (mise au format, mise en couleurs) avec Edgar-Pierre Jacobs, Hergé transformera sensiblement le voyage d’un Belge au Congo en séjour d’un Européen en Afrique afin de lui donner une dimension plus universelle. Dans le même élan, non seulement il le dénationalisera mais il le laïcisera : Tintin cessera de recommander son âme à Dieu. Il n’en demeure pas moins que dans les années 60, Tintin au Congo de même qu’Au pays des Soviets, étaient introuvables en librairie alors que 800 000 exemplaires du Congo avaient été écoulés. Casterman ne les rééditait pas, moins par peur des Africains eux-mêmes que par crainte d’une campagne d’opinion de l’intelligensia tiers-mondiste. Dans une lettre du 26 juin 1963, Hergé implorait son éditeur de ressortir Tintin au Congo au moins en Europe. Pour lui, la cause était entendue : ses personnages étaient «des noirs de fantaisie», caricaturaux comme tous les personnages de son oeuvre. Il en voulait pour preuve les lettres admiratives de ses jeunes lecteurs africains et un article laudateur paru dans le n°73 de la revue Zaïre (le 02/12/1969) : «Si certaines images caricaturales du peuple congolais données par Tintin au Congo font sourire les Blancs, elles font rire franchement les Congolais, parce que les Congolais y trouvent matière à se moquer de l’homme blanc qui les voyait comme cela» . Au moment où cet article paraissait, Hergé n’en demandait pas moins à Casterman de remplacer “nègre” par ”noir” à la case 8 de la page 31…

En Grande-Bretagne, l’album, publié en 1931, avait été retiré des ventes pendant des décennies et que, suite à une toute récente protestation de cette même Commission pour l’égalité raciale, des éditeurs britanniques et américains avaient déjà commencé à l’affubler de bandeaux d’avertissement rouges un bandeau rouge indiquant qu’il s’agit d’une BD « pour collectionneur » et reprenant « certains stéréotypes de l’époque qui peuvent choquer les lecteurs d’aujourd’hui ». Depuis 2005, l'éditeur anglais Egmont a inséré une notice prévenant que le contenu peut choquer. La notice souligne que la BD contient des stéréotypes coloniaux en vigueur à l'époque où elle a été réalisée. Maintenant, cet album est relégué au rayon “adultes” et ses ventes explosent!

Les "bien-pensants" font bien du mal à nos cultures. Ce qui est pris pour du racisme n'est en fait, généralement, qu'une simple méconnaissance de la vie en communauté diverses. Car oui, dans les années 20, ces fameux clichés sur l'Afrique, les colonisateurs et les colonisés, ne s'inscrivait-elle pas dans son époque ? Si les prises de position de cet album semblent choquantes aujourd'hui, à l'époque, elle ne faisaient que correspondre à une manière dont l'Afrique était perçue. L’album présente bien une vision raciale claire et nette mais tous les auteurs ou presque de l’époque considéraient l’existence de races inférieures comme allant de soi. Nier cette évidence, c’est nier l’histoire de l’art, de la littérature et surtout, c’est nier l’évolution des idées et les fantastiques progrès accomplis dans ce domaine. La colonisation et le mode de pensée qui va avec ont disparu, mais elles ont bien existé ! On ne gomme pas l’histoire. On n’efface pas les témoignages, même lorsqu’ils sont choquants. Surtout lorsqu’ils sont choquants, devrait-on même dire. Ce serait trop facile d’agir ainsi. Comme si un coup de baguette magique pouvait aplanir toutes les aspérités de l’histoire ! Envoyer Tintin au Congo au pilon, ce serait d’abord un petit crime contre la mémoire. Quand cette histoire a commencé à être publiée, dans un journal, la Belgique colonisait encore le Congo. Bien des Belges avaient une attitude condescendante et paternaliste envers les Congolais — pour dire le moins. Ensuite, ce serait considérer que les lecteurs d’aujourd’hui, même parmi les plus jeunes, ne peuvent pas faire la part des choses. Or, ils le peuvent.

Si leurs parents ou leurs proches ne véhiculent pas eux-mêmes de préjugés, les enfants de 10 ans seront étonnés et spontanément choqués par les sous-entendus contenus dans Tintin au Congo. Et s’ils en véhiculent ? Alors, le problème n’aura rien à voir avec la BD... Hergé répondait lui-même aux questions sur le racisme lors d’une émission Radioscopie du 9 janvier 1979. Jacques Chancel était à Bruxelles. Voici l’extrait retranscrit :

Jacques Chancel : « Alors, j’ai regardé l’album qui donne une nouvelle vie à vos premières aventures, je pense à Tintin chez les soviets, Tintin au Congo et Tintin aux Etats Unis je crois, alors je suis frappé par une tendance politique que vous aviez qui, peut être, n’est plus celle que vous avez aujourd’hui. Vous étiez particulièrement raciste à l’époque ! Tintin chez les Soviets, c’était de l’anticommunisme primaire, Tintin au Congo, alors là c’était le petit noir… vous vous preniez pour un vrai blanc… »

Hergé : « Oui oui, bien sûr, mais je pense que je ne me singularisais pas. Je crois que tout le monde à l’époque était d’abord anticommuniste, ou plus exactement, dans le cas du 20ème siècle, antibolchevique, l’homme au couteau entre les dents… »

Jacques Chancel : « C’était en 1929.. »

Hergé : « C’était en 1929 ne l’oublions pas et quant au Congo bien il allait de soi, ça paraissait aller de soi que de depuis toute éternité les noirs étaient faits pour servir les bons blancs qui étaient là-bas. Enfin nous leur envoyions d’ailleurs de bons missionnaires, des hôpitaux, des chemins de fer, que sais-je encore, tous les bienfaits entre guillemets de la civilisation. Donc j’étais colonialiste comme tout le monde était colonialiste. Il y avait une loterie coloniale en Belgique, il y avait votre exposition coloniale à Paris. Tout ça allait de soi semblait-il ! »

Jacques Chancel : « En toute honnêteté ? »

Hergé : « En toute honnêteté ! »

Jacques Chancel : « Alors ce qui est important c’est de savoir ce que vous êtes aujourd’hui. Si vous avez changé.. »

Hergé : « Ah mais évidemment. »

Jacques Chancel : « Si vous vous êtes transformé ? Ce sont les événements qui vous ont fait changer ou votre nature était différente ? »

Hergé : « Peut-être ma nature. Bien sûr les événements m’ont fait changé et puis j’ai évolué comme tout le monde évolue. »

Mais cet album, qu’on le veuille ou non, témoigne d’une vision qui existait en Europe au moment de sa parution, au début des années 30. Combien de livres et de films ne seraient plus diffusés si les tribunaux devaient ainsi masquer les stéréotypes qui ont existé ou qui existent encore ? Il y a une distinction à faire entre les préjugés collectifs, qui éclairent des difficultés d’aujourd’hui, et la diffamation pure et simple. Des auteurs controversés, il y en a plein sur les rayons des librairies et des bibliothèques.

Après avoir parcouru la planète entière, le petit reporter belge est-il voué à finir sa carrière dans “l’enfer”, réservé aux pervers, collectionneurs ou chercheurs, de la Nationale? Ou du moins dans le purgatoire des rayons “adultes” de nos librairies? Lorsque l'on songe à toutes les cochonneries illustrées qui sont à portée de mains d'enfants dans n'importe quel supermarché...

Sources : Le blog de Pierre Assouline, Le blog d'Aguoland, Le blog de J-C Durbant, Le blog de fxgg et Cyberpresse Canada

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Commentaires
J
"L’album présente bien une vision raciale claire et nette mais tous les auteurs ou presque de l’époque considéraient l’existence de races inférieures comme allant de soi. Nier cette évidence, c’est nier l’histoire de l’art, de la littérature et surtout, c’est nier l’évolution des idées et les fantastiques progrès accomplis dans ce domaine. La colonisation et le mode de pensée qui va avec ont disparu, mais elles ont bien existé ! On ne gomme pas l’histoire. On n’efface pas les témoignages, même lorsqu’ils sont choquants. Surtout lorsqu’ils sont choquants, devrait-on même dire. Ce serait trop facile d’agir ainsi. Comme si un coup de baguette magique pouvait aplanir toutes les aspérités de l’histoire ! Envoyer Tintin au Congo au pilon, ce serait d’abord un petit crime contre la mémoire. Quand cette histoire a commencé à être publiée, dans un journal, la Belgique colonisait encore le Congo. Bien des Belges avaient une attitude condescendante et paternaliste envers les Congolais — pour dire le moins. Ensuite, ce serait considérer que les lecteurs d’aujourd’hui, même parmi les plus jeunes, ne peuvent pas faire la part des choses. Or, ils le peuvent."<br /> <br /> Très intéressant commentaire.<br /> <br /> Qui me rappelle étrangement... les attaques actuelles (à la Onfray, Dawkins, Hitchens, etc.) contre le christianisme et la Bible)!<br /> <br /> Qui font comme si des textes datant de 2 ou 3000 ans pouvaient avoir la vision politiquement correcte et postmoderne qui est la nôtre aujourd'hui, sans voir que ces traces du passé sont justement ce qui en font l'authenticité, à l'opposé de cette vison soviétique qui, à la manière des auteurs de crimes parfaits, effaçait, avec les dirigeants en disgrâce, toutes les traces de ses propres forfaits ... <br /> <br /> http://jcdurbant.blog.lemonde.fr/2007/11/02/antichristianisme-staline-hitler-mao-dawkins-meme-combat-atheists-dont-do-evil-things-in-the-name-of-atheism/
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