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19 novembre 2007

Tintin en gruérien

La plupart des sites consacrés au petit reporter l'avaient annoncé : une des aventures de Tintin, "L'affaire Tournesol", paraissait en patois gruérien ("L'afére Tournesol") le 22 mai 2007. La traduction est signée du fribourgeois Joseph Comba et les éditions Casterman en ont tiré 3000 exemplaires, suivis par un deuxième tirage en août.

Le texte a nécessité plus de 900 heures de travail. Il a été soumis pour approbation à des patoisans et à des "tintinologues", a dit un des promoteurs de ce projet, Laurent Missbauer, confirmant une information du quotidien La Liberté. La décision d'entamer cette traduction date d'octobre 2005. Le choix du titre s'est porté sur "L'affaire Tournesol" car l'intrigue se déroule en partie en Suisse romande.

Sous la plume de Joseph Comba, l'une des injures favorites du capitaine Haddock, "moules à gaufres", devient "fê a brèchi!" soit en français "fer à bricelets".

A ce jour, les albums de Tintin ont été publiés dans près de 70 langues, dont le Romanche et le dialecte Bernois.

J'ai donc voulu en savoir plus sur ce sympathique patois suisse, la Gruyère étant aussi une région suisse et pas simplement un fromage à utiliser sans aucune modération pour gratiner un délicieux spaghetti bolognèse. En Belgique, nous utilisons déjà plusieurs mots de leur vocabulaire : empiffrer, requinquer, trouille, pioncer, paillasson et regardant.

Voici donc l'histoire du gruérien ...

En pleine époque impériale, un curieux document atteste d'un usage du dialecte comme langue secrète, et donc indirectement de sa vitalité. De la lointaine Russie, le Colonel d'Affry écrit à sa sœur en espérant déjouer la surveillance de la police impériale, qui filtre le courrier et veut empêcher que la situation véritable soit connue. La lettre atteste donc de la vitalité de l'idiome dans la bonne société fribourgeoise (le frère écrit, la sœur répondra) et de son statut de langue orale. La remarque finale montre que Python est à la fois référence reconnue et non imitée : le patois ne s'écrit pas. Par là même le choix graphique de l'officier nous donne de précieuses indications sur la prononciation. Cette lettre est extrêmement intéressante par son registre : ici, aucune connivence patoisante, aucun jeu compensatoire sur la diglossie. La franchise directe est celle de toute langue débarrassée des superfluités de la rhétorique. Le vocabulaire est celui d'une bonne langue d'usage, sans recherche aucune de pittoresque, et pour cause. La lettre montre l'état de délabrement de l'armée de Napoléon, qui quittera Moscou le 19 octobre.

Madame de Boccard, Hubert, de Jetzwill, Fribourg, Suisse. 3 8bre, Polotzky.
Vo charai epay benéje de chavay au justou chan que no fan pé châtre. Vo charai don que la vella dé Moskou l'est zauva bourlaye l'autri. Lou fu lia doura chai zoua. Nequé l'a imprinte niont né lou cha. Nos chan faiblious por chan que la puvra, la migére, la fam nos zan mau adouba. Mé de la meitty dé tzavo chon fotu ; les grochés picés chon appléyies avoué dei baû que creïvon perto thu les tzéraires. No zan mé de 80 mille crouyous chuda en dérai que robont, bourlont, destrugeont tot et tiant les pourrous paygeans que nos amont quement lou tzancrous rozay. Noutron chignâ lia ben gagni, ma n'en da tru cottâ. M'an achura que Michel n'a pas mé dé chin mille, tit les autrous chont tia o frou de chervichou. Avoué les outrous l'iest lou mimou affére à pou pri. Vo né paudé pas chavay quement no chan, faut lou veire por lou creire. Achebin stou allemands modont ; les Bavarois né chont pas chai mille, l'irant 29 mille ; van vers l'au à l'otho et nos mandont fére à fotre. Che chan dure grand-tin fournetré quement lé d'avau. Tot lou mondou chen mecliet acheben pé châtre. La balla rolliat d'au 7 nos ja cota 35 tzapis borda. Dzudzidé d'au rîstou, on n'a dzamé ran yu dé parey. No ché que no chan moda 54 mille, no ne richtan pas 15. Noutron corps l'ia zau ondzé combats. Fa me lou pliégi dé liaire ma lettra à la mére, ma à nion d'outrou et portant à la tanta D.
Berlen l'i a la gotta. Lou fe dé Quaquillon l'iest moua huet. Huber l'iest zau ben maladou, ma l'iest ré bon. Mè ne va pas tant mau. Louvin l'iest tzancrament tzie, doux écu nau la botoille. Fa mé lou pliegi dé mé répondré en patay et de mé marqua tot chan que diont à Berna d'au pays yo chu zau l'ia 4 ans. No ne chavons ran que per dei pitits “panflets” que les outrous nos baillont, imprima en franché.
Té pu pas dere grand novi, que t'amou ben, n'est pas novi ma benveré. Embrache ton Hubert por me et mes reschpet au villou. Né ché pas che te poret vini frou de mon orthographe, ma parlou pis patay que ne l'ecri-jou. M'aret fallu l'avocat Python por mé lou motra.

Traduction :

Etrennes fribourgeoises
Vous serez, sans doute, bien aises de savoir au juste ce que nous faisons par ici. Vous saurez donc que la ville de Moscou a été brûlée dernièrement. Le feu a duré six jours. On ne sait pas qui a mis le feu. Nous sommes faibles, car la poudre, la misère, la faim nous ont mal arrangés. Plus de la moitié des chevaux sont f....., les grosses pièces sont attelées avec des bœufs qui crèvent partout sur les chemins. Nous avons plus de 80 mille mauvais soldats en arrière qui volent, brûlent, détruisent tout et tuent les pauvres paysans qui nous envoient à tous les diables. Notre seigneur (L'Empereur) a bien gagné la victoire, mais elle lui a trop coûté. On m'a assuré que Michel (Le Maréchal Michel Ney) n'a pas plus de cinq mille hommes, le reste est tué ou hors de service ; quant aux autres, il en est à peu près de même. Vous ne pouvez pas vous figurer dans quel état nous sommes ; il faut le voir pour le croire. Les Allemands aussi s'en vont ; les Bavarois ne sont plus six mille ; ils étaient 29 mille. Ils rentrent à la maison et nous envoient faire f..... Si cela dure longtemps, cela finira comme par là-bas (Allusion aux défaites françaises d'Espagne, où la population s'était soulevée contre l'occupant). Tout le monde s'en mêle aussi par ici. La belle rossée du 7 nous a coûté 35 chapeaux gansés (La bataille de la Moskova, 7 septembre 1812, où nombre de généraux avaient été blessés ou tués.....). Jugez du reste, on n'a jamais rien vu de pareil. Nous ici qui étions 54 mille à notre départ, nous ne sommes plus 15 mille. Notre corps a eu onze combats. Fais moi le plaisir de lire cette lettre à la mère et à personne d'autre sauf à la tante D...(La conseillère de Diesbach née d'Affry) Berlens (De Castella de Berlens, colonel au 2e régiment suisse) a la goutte. Le fils de Quaquillon (Antoine fils de Georges-Aloys de Gottrau, de Granges, capitaine au 2e régiment suisse) est mort aujourd'hui. Hubert (Hubert de Boccard, lieutenant) a été bien malade, mais il est de nouveau bon. Moi je ne vais pas tant mal. Le vin est terriblement cher, deux écus neufs la bouteille. Fais moi le plaisir de me répondre en patois et de m'indiquer ce que l'on dit à Berne du pays où j'ai été il y a quatre ans (L'Espagne). Nous ne savons rien, sauf par de petits pamphlets imprimés en français que les autres nous donnent. Je ne puis pas te dire grands nouveaux si ce n'est que je t'aime bien ; ce n'est pas nouveau mais bien vrai. Embrasse ton Hubert pour moi et mes respects au vieux. Je ne sais pas si tu pourras te tirer de mon orthographe mais je parle mieux le patois que je ne l'écris. Il m'aurait fallu l'avocat Python pour me l'enseigner.

Quelques mots de gruérien et leur traduction :

Acouet: courage, énergie
Agnaf: nigaud
Aguiller: placer dans une position peu stable
Appondre: ajouter bout à bout
Barjaque: personne bavarde
Batoille: personne bavarde
Béder: manquer, rater
de bizingue : de travers, de coin
Botasson: plante mal venue, rabougri
Bramée: beuglement, mugissement
Cachemaille: tire-lire
Cayon: cochon, porc
Chenoille: vaurien, canaille
Chotte: abri, couvert
Clédar: portail
Cocoler: gâter, choyer
Coter: fermer, étayer
Cotterd: réunion de personnes pour converser
Cotzon: nuque
Cradzet: petit
Crouïe: de mauvaise qualité
Crousille: tire-lire
Cupesser: culbuter, tomber, dégringoler
Dérupiter: tomber, dégringoler
Encouble: entrave, obstacle, empêchement
Empiffrer: bourrer de nourriture
Enmoder: mettre en mouvement
Epéclée: écrasement, bris, grande quantité
Etertit: assomer
Les à fonds: le grand nettoyage
Fricassée: feu ardent
Gâtion: enfant gâté
Goger: couver
Golée: gorgée
Gonfle: congère
Gouille: flaque d'eau, petite mare
Mécol: moi
Mèdze: guérisseur, rebouteux
Mijaurée: femme aux manières affectées
Pincolet: très mince
Paclette: braguette
Paillasson: natte servant à s'essuyer les pieds à l'entrée d'une maison
Panosse: torchon dont se sert pour laver ou essuyer le sol
Pèdjant: de pedjer, coller
Péclette: poignée
Pétouiller: faire du mauvais ouvrage
Piaute: patte ou jambe d'un animal
Picholette: chopine, bouteille
Pioncer: dormir profondément
Piorner: pleurnicher, larmoyer
Pouet: laid
Poutzer: nettoyer, laver, astiquer, frotter
Rapercher: attraper, accrocher
Rapicoler: ravigoter
Rebibe: copeau de bois ou de fromage
Rebouiller: remuer, fouiller
Redzipéter: rapporter, répéter ce que l'on a appris
Regardant: économe
Requinquer: rétablir, ranimer, retaper
Rogne: mauvaise humeur
Roille: pluie
Royaumer, se: se pavaner
Ruclon: tas de compost
Ruper: manger gloutonnement
Sato: sobriquet donné à un homme qui sait tout
Talmatcher: jargonner, parler une langue étrangère
Tatipodze: fureteur, tâtillon
Trouille: peur
Wigetze: bombance

Et enfin, quelques phrases ...

Viye fèmala que coua è dzenille à dzo lè chunio dè piodze
"Vielle femme qui court et poule à l'abri est signe de pluie"

Dèvejâ in patê, lè betâ dou chèlà din cha vouê
"Parler en patois, c'est mettre du soleil dans sa voix"

Le papè chon kemin lè j'âno : pouârton to chin ke lou beton dèchu
Les journaux sont comme les ânes : ils portent tout ce qu'on leur met dessus."

Chi ke l'a invide d'ôtyè, li fâ râramin pyéji kemin ly a fè invide
"Celui qui a envie de quelque chose, ça lui fait rarement plaisir autant que ça lui a fait envie. L'envie conduit souvent à la déception"

Le vin fâ tsantâ léz omo ou kabarè, plyorâ la fèna à l'othô et vouilâ le kayon a l'èthrâblyo.
"Le vin fait chanter les hommes au cabaret, pleurer les femmes à la cuisine et crier le cochon à l'étable".

La né dè Matenè, lè j'âno chè beton a dzenâ a la miné.
"La nuit de Matines (Noël), les ânes se mettent à genoux à minuit."

Tèchtè batoye !!
"Tais-toi, bavard !".

Chi que che maryè à la couête che repin a chon liji
"Celui qui se marie en vitesse aura tout loisir de s'en repentir".

Bonne lecture quand même ...

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